« Breaking Bad »: « Le crime paie! »

Publié le par tejipe

La période estivale – et son accalmie toute relative en matière de diffusion de séries télévisuelles – est un moment idéal pour le « sériephile ». Elle lui permet de visionner des programmes inconnus ou d’approfondir – comme c’est mon cas avec « Breaking Bad » - ses connaissances sur des « shows » jusque-là survolés. Véritable révélation quasi-biblique, cette série créée par un des fondateurs de la mythologie des « X-Files », Vince Gilligan, réconcilie le téléspectateur avec un univers pléthorique dans lequel la quantité prend malheureusement souvent le pas sur la qualité !


Walter White est professeur de chimie dans un lycée d’Albuquerque, dans l’état du Nouveau-Mexique. Comme son maigre salaire d’enseignant ne lui permet pas d’assurer à lui seul la subsistance de sa famille, il occupe une deuxième activité au sein d’un centre d’entretien automobile. Il est père d’un adolescent atteint d’infirmité motrice cérébrale et son épouse, nouvelliste, est enceinte d’une petite fille.

Le jour de ses cinquante ans, Walter White succombe à un malaise alors qu’il se trouve dans l’enceinte du garage. Après que l’ambulance l’a conduit à l’hôpital, l’oncologiste qui le reçoit lui diagnostique un cancer incurable des poumons. Pour Walter White - qui cumule les fonctions de père attentionné, de mari aimant, d’enseignant bienveillant et de citoyen modèle - l’annonce de cette terrible nouvelle résonne des accents de la farce caustique.

Le destin - qui jusque-là avait relativement épargné cet homme au parcours paisible – fait soudainement irruption dans son existence et il est accompagné de l’ironie la plus mordante. Si en prologue du pilote de « Breaking Bad », Walter White définit - auprès d’une assistance scolaire amorphe - la chimie comme  « la science du changement », il ignore encore à quel point la suite des évènements va lui donner raison.

Après avoir visionné un reportage instructif sur les bénéfices financiers qu’entraine la vente de méthamphétamine, Walter demande à son beau-frère, Hank Schrader - qui est agent à la « DEA » (« Drug Enforcement Administration », la « Brigade des stupéfiants » américaine) – s’il peut assister, en tant que simple témoin oculaire, au démantèlement d’un réseau de drogue. Son parent, qui est aussi expansif que Walter est réservé, accède à sa requête. 

A ce stade des évènements, Walter White a déjà sa petite idée en tête. Tel un bourgeon qui fleurit à l’approche de la saison estivale, les circonstances ultérieures vont la faire davantage éclore. Sur les lieux des opérations, le fabricant de méthamphétamine est arrêté par l’agent Schrader et par son équipe. Son revendeur, qui passait la nuit dans la demeure mitoyenne en compagnie de la voisine quadragénaire, prend la poudre d’escampette. Walter ne donne pas l’alerte, mais il a reconnu en la personne du fugitif, un ancien élève peu assidu, Jesse Pinkman.

Il se rend au domicile parental que le jeune homme squatte et il lui propose une association de malfaiteurs des plus incongrues. Walter sera la tête, le fabricant de méthamphétamine et Jesse, sera les jambes, le revendeur d’une drogue recherchée qui doit assurer aux deux acolytes des lendemains qui chantent. Car avant de passer l’arme à gauche, Walter veut assurer à sa famille un avenir serein.

Pour ne pas faire mentir l’adage populaire « A quelque chose, malheur est bon », le professeur acculé emprunte des chemins de traverses qui le mènent d’une légalité peu rémunératrice à une illégalité lucrative. Après une première association avortée avec un compagnon d’université, « Walter le chimiste » développe un autre commerce plus florissant qui lui, en revanche, trahit un proverbe édifiant. En effet, dans la série « Breaking Bad », « le crime paie » !

Walter White est l’archétype de l’antihéros bedonnant dans la force de l’âge. Il se balade en plein désert du Nouveau-Mexique en slip kangourou, un masque anti-gaz rivé sur le visage. En arrière-plan, un « Camping-car » connoté années quatre-vingt apporte à la peinture la touche finale. Vince Gilligan - le « showrunner » de cette série estampillée « AMC » - a doté son personnage de l’une des motivations les plus fortes qui soit et elle va justifier chacune des actions futures du protagoniste.

Après avoir vécu un demi-siècle de son existence par procuration à travers les autres, Walter White prend une sacré revanche sur la vie. La sienne propre, tout d’abord, mais aussi celles de son entourage. Les « champions » à qui tout réussi (voir épisode « Cancer Man » avec « KEN WINS »), les brutes qui se moquent de son fils invalide, alors qu’il essaie une paire de jeans en compagnie de ses parents, Hank Schrader, son beau-frère fanfaron et moralisateur, que son fils, Walter Junior, adule plus que son propre père pusillanime, ses élèves de lycée qui l’ignorent, le supportent ou le toisent de leur morgue de « fils à papa », Skyler White, son épouse, qui dans son ménage porte la culotte et lui dispense une sexualité inversée. Dans le pilote, elle le masturbe de manière nonchalante, comme le ferait une maitresse qui prodigue à son animal de compagnie des caresses désinvoltes.

Même les caïds de la drogue s’inclinent devant ses capacités scientifiques hors-pair ou devant ses crises de rage quand, sous le pseudonyme de « Heisenberg », Walter pète les plombs. Sa maladie incurable et sa nouvelle position sociale aux contours flous vont lui permettre de ne plus être un simple spectateur de son drame, mais un acteur à part entière. Paradoxalement, depuis qu’il sait qu’il va mourir, Walter White ne s’est jamais senti aussi vivant !

Pour autant, Vince Gilligan, ne se montre pas conciliant face au monde de la drogue dans le déroulement de ses intrigues. Ses parrains sont tous d’affreux psychopathes, dont le pinacle est incarné par l’imprévisible Tuco Salamanca. La série dénonce aussi les dégâts que la substance provoque de façon directe et indirecte. D’abord sur les « junkies », qui une fois accrocs ne peuvent plus s’en passer, mais aussi sur leurs proches. La quintessence de la démonstration est atteinte dans « Peekaboo ». Dans cet épisode, un couple de drogués - véritables épaves humaines – vit avec son petit garçon roux et taciturne dans une infâme porcherie jonchée de déchets divers. Le temps de l’épisode, Jesse Pinkman se prend d’affection pour le gamin, qui représente à ses yeux comme une réminiscence potentielle de ce qu’il aurait pu être.

Comme toutes les professions, celle de revendeurs de drogues comporte des moments de liesse  – l’argent en abondance – mais aussi des aléas, trucider les individus gênants et dangereux (cf. Emilio et son fourbe cousin, « Krazy 8 ») et dissoudre leur cadavre dans un bain d’acide sulfurique, après les avoir découpés en morceaux.

« Breaking Bad » démontre également que la frontière qui existe entre inégalité et légalité est bien mince. Hank offre à Walter des cigares cubains, pourtant interdits à l’importation sur le territoire américain. Marie Schrader, la belle-sœur de Walter, qui sous des apparences de citoyenne modèle et intégrée, souffre de kleptomanie. Jacob Pinkman, le jeune frère de Jesse, qui fume des cigarettes de marijuana en dépit de son allure d’élève studieux et de sportif émérite.

L’ironie qui émaille le programme n’aura, bien évidemment, échappée à personne. Walter White succombe à un cancer des poumons alors qu’il est non-fumeur. Jesse Pinkman à ses côtés, Walter s’impose sur le marché de la drogue alors que son beau-frère est agent à la « DEA », etc. La malice se retrouve également dans les répliques cocasses que Walter ne manque jamais de servir à ses interlocuteurs. (cf. ses ballades dans le désert pour prétendument admirer la nature et ses merveilles).

Cette série prestigieuse connait une évolution comparable à celle d’un être humain. Après un court premier stade (sept épisodes) turbulent mais formateur, l’étape suivante a consacré son entrée dans l’âge adulte. Avec la troisième période - qui débarque sur la chaine « AMC » en mars 2010 - « Breaking Bad » doit atteindre à la maturité. Selon Vince Gilligan, Jesse Pinkman - le « fils adoptif » de Walter White - se décide enfin à grandir et il cesse de se conduire en éternel adolescent. Un arc narratif fait intervenir le sinistre culte de la « Santa Muerte » (déjà évoquée dans la série « Carnivàle » de « HBO »), de nouveaux trafiquants de drogues font leurs apparitions et, selon la progression scénaristique de rigueur, la personnalité sociopathe de Tuco Salamanca devrait faire pale figure.

A l’inverse du neurasthénique « Mad Men » - l’autre « show » diffusé sur « AMC » - « Breaking Bad » ne craint pas d’offrir une peinture bigarrée des sentiments humains et d’utiliser dans son œuvre toutes les tonalités de sa palette chromatique. A ce titre, cette série devrait, davantage que sa consœur, mériter les honneurs de la presse et des téléspectateurs.

Publié dans Breaking Bad

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